En septembre, une rumeur courait selon laquelle Philip Morris International (PMI) aurait coupé de moitié le budget alloué à la Foundation for a Smoke-Free World (FSFW). Ceci au moment du renouvellement annuel de la convention initialement signée en septembre 2017. Philippe Poirson a mené l’enquête.
En dépit de leur promesse de transparence, ni la FSFW, ni Philip Morris n’ont communiqué publiquement sur cette coupe drastique. La coupe de budget apparaîtra probablement lors de la publication des comptes annuels de la Fondation, généralement en mai de l’année suivant l’exercice.
Nous avons contacté les deux organisations. Si PMI n’a pas donné suite, la FSFW a répondu à notre sollicitation. Et elle confirme : “Un accord révisé entre PMI Global Services Inc. et la Fondation for a Smoke-Free World prévoit que le financement annuel de la Fondation sera réduit. En tant que premier bailleur de fonds de la recherche et du renforcement des capacités en matière de réduction des risques liés au tabac et de désaccoutumance au tabac au niveau mondial, nous adaptons nos programmes pour améliorer les performances et poursuivre le travail visant à mettre fin au tabagisme dans cette génération. Notre travail sera encore plus axé sur la recherche qui ne fait pas double emploi et qui est nouvelle, comblant ainsi les lacunes scientifiques et réglementaires.”
Cette réduction de budget passée sous silence pose question, mais sur laquelle la fondation va bientôt communiquer. La fondation dirigée par Derek Yach a toujours mis en avant la garantie d’un “financement irrévocable” de 80 millions de dollars par an sur 12 ans du bailleur de fonds (voir extrait de sa lettre du 11-01-2018 plus bas). Cette clause était l’une des conditions les plus importantes censées garantir l’indépendance de la gouvernance de la Fondation. Derek Yach, son fondateur et président, pouvait ainsi imprimer les orientations désirées sans crainte de froisser le cigarettier et mettre en péril financièrement son organisation.
Extrait de l’accord entre la Fondation Smoke-Free World et Philip Morris, disponible sur le site de la FSFW. |
“Les documents directeurs de la Fondation sont sans équivoque : la Fondation est, et doit toujours être, une organisation indépendante, exploitée pour soutenir la recherche dans le domaine du sevrage tabagique et de la réduction des méfaits du tabac, indépendamment de l’impact sur toute entreprise commerciale. 2.Financement irrévocable – La Fondation et Philip Morris International (“PMI”) se sont engagés à financer la Fondation pendant 12 ans à hauteur de 80 millions de dollars par an tant que la Fondation continue à faire avancer la mission de la Fondation axée sur l’arrêt du tabagisme et la prise en compte des conséquences de la réduction de la consommation de tabac sur les tabaculteurs. Cet engagement sera pris chaque année pendant 12 ans selon les termes d’un accord formel et juridiquement contraignant.” Extrait de la réponse de Derek Yach le 11 janvier 2018 à une lettre d’une équipe d’experts indépendants, dont Clive Bates et le Pr Jean-François Etter. La lettre de Derek Yach semble avoir disparu du site de la Fondation, mais se trouve sur Web.Archive.
La moitié du staff licenciée
Première conséquence de la coupe, les licenciements pleuvent ces dernières semaines. Au moins 15 personnes ont été licenciées en septembre, soit près de la moitié du staff, comme le rapporte Philippe Boucher, qui suit l’actualité de la fondation dont il a été employé en 2019, sur son blog Honest Feedback. Restent 16 employés, en plus de l’équipe dirigeante de 6 personnes. Cette vague de licenciement et le silence officiel semblent indiquer que la direction de la FSFW ne compte pas forcer Philip Morris à honorer son engagement sur les versements.
L’ancien budget de 80 millions de dollars annuels alloués à la FSFW paraissait relativement peu en regard du chiffre d’affaires de Philip Morris, ou même d’autres de ses investissements. Par exemple, Philip Morris financerait son écurie de Formule 1 pour près de 160 millions de dollars annuels.
Cacahuètes
En regard de l’importance de la métamorphose de Philip Morris, encore répétée il y a quelques jours à peine par son PDG André Calantzopoulos, vers un “monde sans fumée”, la somme accordée à la fondation censée éclairer de manière indépendante ce chemin paraissait faible. Désormais coupée de moitié, elle est objectivement ridicule pour un tel enjeu. A fortiori en comparaison des centaines de millions de dollars parachutés par Bloomberg, les Big Pharma et les cigarettiers asiatiques dans leur guerre contre la réduction des risques, en particulier antivape.
Mais pourquoi ?
Les raisons qui ont poussé Philip Morris à décider cette coupe vont être sujettes à spéculations. Il est peu probable que le cigarettier livre ses réelles motivations. Je me risque à avancer trois hypothèses. La première est que cette coupe pourrait être une manière de sanctionner la fondation pour un ou des travaux qui auraient déplu à Philip Morris.
Une deuxième est que Philip Morris pourrait estimer ne plus avoir besoin de la fondation. La bataille du marché américain a été gagnée par les cigarettiers, qui vont voir l’extrême majorité des entreprises de vape indépendantes être mises hors jeu par la réglementation. À l’exception du chinois Smoore, qui a une surface financière plus importante, les quelques rescapés pourraient être absorbés sans grande difficulté. Ils retrouvent sur le marché des nouveaux produits à risque réduit une situation proche de l’état d’oligopole qu’ils apprécient.
Une troisième piste d’explication est la réussite de la stratégie de chasse aux sorcières organisée par l’alliance du réseau de lobbyistes de Bloomberg, de l’OMS et du tabac asiatique. Les travaux issus de la Fondation n’ont que très peu d’écho, les chercheurs qui acceptent des financements de sa part sont mis au ban de la communauté scientifique, les médias attaquent les personnes liées à la fondation, etc. Jusque-là, la fondation de Derek Yach n’a pas réussi à être beaucoup plus qu’un épouvantail. Il est possible que Philip Morris jette l’éponge face au bloc solide autour de l’affairiste Bloomberg.
Bonne ou mauvaise nouvelle ?
Une victoire du clan anti-réduction des risques n’est jamais une bonne nouvelle pour les utilisateurs et le respect de leurs droits. Ceci dit, un affaiblissement du pôle lié au cigarettier vaudois peut aussi constituer une opportunité pour les défenseurs indépendants des droits des usagers, ainsi que des professionnels de vape indépendants pour occuper le terrain déserté et avoir plus d’occasions de faire entendre leur voix.
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